Emir Delic joint l'équipe de la Créaf à titre de chercheur postdoctoral pour l'année 2013-2014. Son projet de recherche, intitulé « Au-delà de l'art engagé. La poésie acadienne et franco-ontarienne de la "longue" décennie de 1970 (1969-1985) », vise à explorer les modulations des narrations de soi articulées dans les marges à travers une étude comparative de la poésie acadienne et franco-ontarienne parue entre 1969 et 1985.
On sait que cette période, qu'on pourrait nommer la « longue » décennie de 1970, voit naître des mouvements de revendication identitaire et d'effervescence culturelle tant en Acadie qu'en Ontario français. On sait également que ces mouvements s'accompagnent, de part et d'autre, de l'avènement et de l'autonomisation d'une institution littéraire distincte et que la poésie joue un rôle de premier plan dans ces transformations des deux paysages littéraires. Comme le fait valoir François Paré, « [m]ieux que toute autre forme d'expression littéraire, la poésie a pu puiser à l'inconscient de la minorisation et a affirmé, en dépit de tout, la suprématie de la parole sur le silence. » (2010) Ce que le théoricien constate ici à propos de la poésie franco-ontarienne vaut sans conteste pour la poésie acadienne. À plus forte raison que, malgré tout le succès du Théâtre populaire d'Acadie, la dramaturgie, autre genre majeur qui s'est imposé à partir des années 1970, n'a pas connu le même essor en Acadie qu'en Ontario français. Il n'est donc pas surprenant que les œuvres poétiques acadiennes et franco-ontariennes de cette époque, tout comme la plupart des œuvres en prose qui leur sont contemporaines, se voient rapprochées d'un cri de cœur identitaire, d'une « prise de parole » explicite servant, sinon d'« inventer un pays », du moins d'affirmer l'existence d'une communauté francophone forte et vibrante. Mais cette poésie se laisse-t-elle vraiment réduire de la sorte à de l'art engagé? La question mérite d'être posée, d'autant plus que, même si la poésie franco-canadienne jouit de nos jours d'un intérêt grandissant de la part de la critique, les textes des années 1970, hormis une mention pour fins de contextualisation historique, passent largement sous silence.
Il y aurait lieu alors non seulement de procéder à une relecture des voix poétiques acadiennes et franco-ontariennes de la « longue » décennie de 1970, mais encore d'engager un dialogue entre elles afin de découvrir ce qu'elles ont à nous enseigner à l'égard des stratégies discursives et des procédés interprétatifs qui conditionnent les figurations de soi et de l'autre déployées dans des contextes différents d'exiguïté culturelle.